Le Figaro : 41 artistes, journalistes intellectuels, se mobilisent
«Madame Hidalgo, ne détruisez pas le quartier d’Apollinaire, Picasso et Hemingway!»
Le Figaro – Tribune collective
Publié le 02/09/2021 à 19:37, mis à jour le 03/09/2021 à 15:42
TRIBUNE – Quarante et un artistes, journalistes, écrivains et intellectuels, dont Stéphane Bern, Michel Boujenah, Nicole Lattès, Michel Leeb, Jean-Marie Rouart et Sylvain Tesson, s’alarment du projet immobilier de la maire de Paris sur le site de l’ancien hôpital Saint-Vincent-de-Paul (14e) qui, pour les signataires, va défigurer un quartier historique de la capitale.
Madame la maire de Paris, faut-il vraiment, pour afficher un projet de mixité sociale, massacrer Paris, son passé et son âme? Nous ne pouvons le croire.
Entre les boulevards Montparnasse et Raspail et la place Denfert-Rochereau, vit encore l’un des rares quartiers de Paris qui garde le souvenir de ses artistes et écrivains. Là, dans une cinquantaine d’ateliers, vécurent, travaillèrent et s’aimèrent Apollinaire et Marie Laurencin, Picasso, Modigliani, Soutine, Hemingway et tant d’autres. Venus de Pologne, d’Espagne, d’Italie et d’Amérique, tous avaient choisi Paris pour patrie. Ils se retrouvaient au Bal Bullier, à la Closerie des Lilas, à La Rotonde, au Select et à La Coupole, des cafés et brasseries classés depuis, en leur mémoire, monuments historiques.
Près d’un siècle plus tard, et malgré bien des dégradations, leur quartier survit. Des théâtres comme le Théâtre de Poche et le Théâtre Montparnasse y font rayonner l’esprit. Des lieux d’expositions comme la Fondation Cartier, à l’architecture de verre exceptionnelle, mais aussi l’Institut Giacometti attirent des visiteurs du monde entier.
Nous pouvons donc tout espérer. Mais, aussi, tout redouter.
Car, à l’emplacement de l’ancien hôpital Saint-Vincent-de-Paul, désaffecté en 2012 et racheté alors à l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris par la mairie de Paris pour être ouvert à des associations comme Les Grands Voisins, un projet de construction nous est dévoilé.
« Sur ce terrain qui abrita des ateliers d’artistes, Malraux avait interdit de bâtir des immeubles. Jack Lang ne l’aurait pas autorisé non plus.
Il s’agit de bâtir sur ce vaste espace de 34.000 m2 un écoquartier de 59.000 m2 de surface habitable qui comprendra 600 logements, dont 50 % de «logements sociaux». Or cette future ville dans la ville ne semble avoir d’«éco» que le nom.
Depuis quelques mois, des engins lourds de démolition et de perforage se sont attaqués non seulement à la plupart des bâtiments de l’ancien hôpital mais, en profondeur, à un sol fragile. Sur ce terrain qui abrita des ateliers d’artistes, André Malraux, le ministre des affaires culturelles amoureux de Paris, avait pourtant interdit de bâtir des immeubles. Jack Lang ne l’aurait pas autorisé non plus.
Le projet de la mairie de Paris nous a été révélé par étapes. À notre stupéfaction, nous avons découvert que ce futur écoquartier de 1400 habitants, au cœur de l’une des capitales déjà les plus denses du monde (Paris compte 21.000 habitants au kilomètre carré, deux à trois fois plus que Londres, Madrid ou Berlin) ne disposerait d’aucun jardin!
Pire, on détruit les arbres souvent très anciens qui agrémentent le quartier. Hier, jeudi 2 septembre, le massacre de 32 arbres, naguère plantés par Chateaubriand dans sa propriété, a commencé. Un comble pour une mairie écolo-socialiste. Seuls quelques «murs végétalisés» et quelques arbustes prévus au bord d’un carrefour baptisé «croisée verte» devraient apporter un peu de vert aux locataires et rares propriétaires de cette future «cité Hidalgo».
Les urbanistes et sociologues de tous bords ne nous ont-ils pas alertés depuis longtemps sur les dangers d’une concentration excessive de logements ?
Ils seront logés dans des carrés d’immeubles appelés «plots» dont certains atteindront 11 étages sur 31 mètres de haut, soit 10 mètres de plus que la moyenne du quartier. Pas de jardin, mais toujours plus de densité… comme dans les secteurs connus pour leur pollution et leur insécurité, voire leur trafic de drogue. Les urbanistes et sociologues de tous bords ne nous ont-ils pas, pourtant, alertés depuis longtemps sur les dangers d’une concentration excessive de logements? L’expérience n’a-t-elle pas montré comment l’équilibre d’un quartier en termes de qualité de vie, de sécurité et de bon voisinage pouvait être irrémédiablement rompu? Nous sommes attachés à la mixité sociale, qui a toujours été celle de ce Paris historique. Mais nous sommes inquiets de constater les dégradations d’immeubles pourtant tout récemment rénovés par la ville de Paris, notamment rue Schœlcher où vécut Simone de Beauvoir.
Au moins, le nouvel écoquartier, pour lequel des quatuors de poubelles géantes de couleur forcément verte ont déjà été disposés dans les rues alentour, se distinguera-t-il des cités «cages à poule» construites après-guerre et dont un grand nombre a dû être récemment démoli? Son architecture sera-t-elle novatrice et exemplaire?
Les permis de construire n’ont pas encore été accordés. Saisissez donc l’occasion !
Nous voudrions croire, Anne Hidalgo que tel est vraiment votre projet. Croire qu’il ne s’agit pas pour vous d’amortir un trop lourd investissement financier en proposant aux Parisiens une «cité» qui défigurera ce lieu historique et risquera de devenir une zone incontrôlable de plus.
La maire de Paris, mais aussi la candidate à la présidence de la République que vous êtes, mesure, nous en sommes certains, les conséquences d’un tel projet pour la capitale, d’un tel modèle proposé à toute la France: elles s’appellent enlaidissement, rupture des équilibres, pollution. Et insécurité.
Les permis de construire n’ont pas encore été accordés. Saisissez donc l’occasion! Modifiez votre projet, comme vous l’avez déjà fait pour le quartier Ordener-Poissonniers (18e arrondissement), où le nombre de logements prévus (650) a été ramené à 450, de façon à garder un hectare de jardins. À la lumière des expériences du passé et du présent, dessinez un autre Paris, plus vert et plus humain. Nous y verrons la preuve à la fois de votre sagesse, de votre vision d’avenir et de votre capacité à gouverner. Au nom de l’intérêt général.
* Parmi les 41 signataires, réunis à l’initiative de Christine CLERC, journaliste et écrivain, figurent notamment: Simone BERTIERE , historienne ; Manel BIDERMANAS, photographe (fils du célèbre photographe de Paris, IZIS) ; Michel BOUJENAH, acteur, metteur en scène ; Nisa CHEVENEMENT sculpteur ; Christine CLERC journaliste, écrivain ; Laurent COHEN- TANUGI Avocat ; Guillaume DURAND, journaliste, écrivain ; Benoît DUTEURTRE, écrivain, musicologue, producteur d’émissions culturelles ; Thomas DUTRONC, musicien ; Basia EMBIRICOS, galériste ; Sonia FEERTCHAK, écrivain ; Luc FERRY, Philosophe ; Benoit FRACHON, animateur culturel (ex secrétaire national PSU auprès de Michel Rocard) ; Jacqueline FRANJOU, présidente de festivals ; Dominique de LA GARANDERIE, avocate (première femme Bâtonnier de l’ordre des avocats de Paris) ; Olivier KLEIN, directeur général de la Bred, professeur d’économie ; Etienne KLEIN, physicien et philosophe ; Alexis LACROIX, journaliste, écrivain ; Nicole LATTES, éditrice ; Michel LEEB, acteur ; Florence MAEGHT, galériste ; Alain MALRAUX , écrivain ; Ivan MESSAC, peintre et sculpteur ; Catherine ORPHELIN, conseil en communication ; Sven ORTOLI, journaliste ; Micheline PELLETIER-DECAUX, photographe ; Yannick POIRIER, libraire ; Florence de PONTHAUD, sculpteur ; Olivier RENAULT, libraire, écrivain ( auteur de «Montparnasse, les lieux de légende») ; Jean-Marie ROUART , de l’Académie française ; Evelyne SCHELS , réalisatrice films ; Elisabeth de SENNEVILLE, artiste ; Madeleine SIMONI , réalisatrice TV ( musique, opéras ) ; Alain-Gérard SLAMA, historien, professeur à Sciences Po ; Gérard et Serge TAFANEL, patrons d’un restaurant classé monument historique ; Philippe TESSON, journaliste, directeur du Théâtre de Poche Montparnasse ; Sylvain TESSON, écrivain ; Alberto TOSCANO, journaliste, président de l’Association de la Presse Européenne ; Johannes WILMS historien, écrivain.